Détenir ou ne pas détenir de succursales corporatives : Voilà la question!

FBC- Maître Jean H Gagnon
Me Jean H Gagnon, avocat du cabinet Fasken

Des franchiseurs nous posent régulièrement la question de savoir s’il est préférable, ou non, pour eux de maintenir et d’exploiter des succursales corporatives, c’est-à-dire des points de vente de leur réseau qui leur appartiennent en propre (directement ou par l’intermédiaire de filiales contrôlées par le franchiseur). Avant le lancement d’un nouveau réseau de franchises, il est toujours fortement recommandé que le franchiseur ait expérimenté son concept de franchise dans quelques points de vente lui appartenant en propre. Un franchiseur qui a suivi cette recommandation possède donc déjà, avant même d’octroyer sa première franchise, un ou, encore mieux, quelques points de vente corporatifs.

Par la suite, est-il préférable que le franchiseur continue de posséder et d’exploiter de tels points de vente corporatifs ou son réseau ne devrait-il comporter que des établissements détenus par des franchisés? Voici quelques avantages et inconvénients de la détention par un franchiseur de succursales corporatives :

Avantages :

  • Le franchiseur conserve la totalité des profits réalisés par ses succursales corporatives;
  • Les succursales corporatives peuvent servir de centres de formation autant pour les franchisés que pour les employés du franchiseur et de franchisés ;
  • Les succursales corporatives peuvent aussi servir de centres d’essais, de tests et de démonstration pour de nouveaux produits, de nouveaux services et de nouvelles initiatives du franchiseur ;
  • Le fait que le franchiseur détienne des succursales corporatives montre sa confiance et son intérêt au succès des établissements de son réseau ;
  • La détention de succursales corporatives permet aussi au franchiseur de mieux comprendre la réalité des franchisés au chapitre de l’exploitation d’établissements de son réseau ;
  • La détention d’une ou plusieurs succursales corporatives est de nature à accroître, dans plusieurs circonstances, la confiance des franchisés envers la compétence et les bonnes intentions du franchiseur. Du point de vue de la compétence, les franchisés accorderont de la crédibilité additionnelle à un franchiseur qui opère et détient lui-même un ou des établissements de son réseau dans un marché donné. Du point de vue des intentions, pensons, par exemple, à l’introduction de nouveaux produits ou promotions. Lorsque le franchiseur détient un magasin corporatif, il peut s’en servir pour tester les nouvelles promotions et « mix-produits », avant de les proposer à la communauté des franchisées. Ceci contribue alors fortement à enrayer la méfiance de certains franchisés, qui pourraient autrement considérer que le franchiseur utilise les franchisés comme « cobayes », sans lui-même prendre de risques (notamment dans le cadre de promotions qui impliquent d’accorder des rabais ou des gratuités au grand public à même l’inventaire des franchisés).

Inconvénients :

  • Le franchiseur doit faire lui-même les investissements nécessaires à la mise en place et à l’exploitation de ses succursales corporatives ;
  • Le franchiseur doit assurer la saine gestion, y compris la gestion quotidienne, de ses succursales corporatives, ce qui nécessite des ressources additionnelles différentes de ce qui est requis pour la gestion d’un réseau entièrement franchisé ;
  • Il y a un risque que les franchisés jugent que, dans diverses situations (notamment en matière d’approvisionnement, de publicité ou de mise en place de nouvelles initiatives intéressantes), le franchiseur privilégie ses succursales corporatives par rapport à ses établissements franchisés. Il est donc nécessaire que, en tout temps, le franchiseur s’abstienne de traiter ses succursales corporatives de manière plus avantageuse que ses établissements franchisés. Notamment, les succursales corporatives doivent contribuer, de la même manière que les franchisés, au fonds de publicité commun du réseau ;
  • Lorsque le franchiseur opère un ou des établissements corporatifs, qu’il le veuille ou non, ceux-ci seront souvent perçus par les franchisés comme « l’étalon de mesure » ou la référence. Ceci laisse peu de marge d’erreur au franchiseur, surtout lorsqu’il reprend temporairement le commerce d’un franchisé pour l’opérer de façon corporative. En effet, si un établissement corporatif est peu performant ou, occasionnellement, peu respectueux, des normes et standards imposés par le franchiseur lui-même, cet établissement sera opposé au franchiseur comme « référence » pour justifier les manquements d’un franchisé en cas de baisse de régime ou d’un respect moins rigoureux des normes et standards du franchiseur. Le franchiseur devra donc souvent dédier des sommes considérables, en matière de ressources humaines et financières, pour assurer une opération impeccable de chaque établissement corporatif. En effet, le franchiseur sera jugé à l’aune de son maillon corporatif le plus faible.

Diverses études réalisées aux États-Unis et en Australie entre1990et 2005ont démontré que, de manière générale, les établissements franchisés affichaient de meilleures performances financières que les succursales corporatives.

Par contre, les mêmes études démontrent également que les succursales corporatives sont plus efficaces dans l’implantation de changements et réussissent mieux à atteindre les critères de qualité du franchiseur.

L’une de ces études en est aussi arrivée à la conclusion que, sur un plan purement économique, la formule permettant à un franchiseur d’atteindre la meilleure rentabilité possible était celle selon laquelle environ 2/3 de son réseau était composé de points de vente franchisés et 1/3 de points de vente corporatifs.

En 2014, le psychologue, auteur et expert en franchise australien Greg Nathan rapport ait les constats suivants au terme d’une recherche menée par son équipe auprès de 35réseaux de franchises exploitant, au total, près de 7000 points de vente, dont 18 % étaient corporatifs (soit exploités par le franchiseur lui-même ou par une filiale du franchiseur) :

  • Les ventes des points de vente corporatifs ont augmenté en moyenne de 6% lorsque ceux-ci ont été convertis en points de vente franchisés. À l’inverse, les ventes des points de vente franchisés ont diminué en moyenne de4% lorsque ceux-ci ont été convertis en points de vente corporatifs ;
  • Les points de vente franchisés ont affiché une meilleure profitabilité que les points de vente corporatifs principalement en raison d’un meilleur contrôle sur les coûts de main-d’œuvre, lesquels étaient en moyenne de10 % plus élevés pour les points de vente corporatifs ;
  • L’état du point de vente avant sa conversion (de corporatif à franchisé, ou de franchisé à corporatif) a un impact considérable sur ses performances après la conversion. Ainsi, les points de vente mal tenus par des franchisés ont vu leurs ventes augmenter suite à leur conversion en points de vente corporatifs. Par contre, les points de vente bien tenus par des franchisés voyaient leurs ventes diminuer suite à leur conversion en points de vente corporatifs ;
  • Le soutien aux points de vente corporatifs représente un coût important pour un franchiseur. Ainsi, selon Greg Nathan, le soutien à un point de vente corporatif exige quatre fois plus de temps et de ressources de la part du franchiseur, surtout aux fins de la gestion de ses ressources humaines et pour la formation de ses employés ;
  • Quoique tout indique que les points de vente franchisés génèrent plus de ventes et montrent une meilleure profitabilité que les points de vente corporatifs, plusieurs franchiseurs exploitent avec succès des points de vente corporatifs qui leur sont fort profitables lorsque leur ouverture et leur exploitation sont bien planifiées et gérées;
  • Enfin, Greg Nathan a relevé un certain paradoxe quant à la conformité aux normes du franchiseur, au degré de satisfaction de la clientèle et à la mise en marché. Alors que les points de vente corporatifs respectaient mieux les normes, programmes et systèmes du franchiseur, ce qui les rend plus faciles à gérer, les franchisés sont plus engagés et proactifs dans leurs efforts pour accroître leur clientèle et pour améliorer la loyauté de leurs clients, mais offrent une certaine résistance aux programmes du franchiseur qui ne leur semblent pas effectifs à ces fins, ce qui, pour le franchiseur, présente un réel défi de gestion, mais qui aussi, au bout du compte, permet d’obtenir de meilleurs résultats.

Bien que, à notre connaissance, aucune étude française ou canadienne ne les ait confirmés, il est vraisemblable que ces constats s’appliquent aussi en France et au Canada.

Au bout du compte, la décision de maintenir, ou non, des succursales corporatives dépend de la structure, des ressources et du plan d’affaires du franchiseur. Il n’y a donc pas de réponse unique pour tous les franchiseurs.

Pour certains franchiseurs, la détention de succursales corporatives est occasionnelle ou provisoire, par exemple suite à l’exercice d’un droit de premier refus au moment où un franchisé veut vendre son entreprise ou d’une option d’achat au moment de la résiliation d’une convention de franchise.

Dans ces cas, le franchiseur peut acquérir et exploiter un ou quelques établissements franchisés afin d’en améliorer les performances ou d’en faire la mise à jour (notamment au chapitre de l’aménagement, du mobilier et des équipements) avant de les revendre à un nouveau franchisé.

Enfin, il faut aussi tenir compte du fait que, dans certains secteurs d’activités (par exemple, dans le secteur de la pharmacie au Québec), la loi répond à cette question en interdisant à un franchiseur de détenir, directement ou par une filiale, la propriété d’une entreprise franchisée.

Me jean H Gagnon

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